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Et si la prochaine révolution mobile ne venait ni de la 6G, ni des satellites, ni de la réalité augmentée, mais d’une rupture plus discrète : la capacité à communiquer sans aucune connexion réseau ? C’est exactement ce que propose BitChat, la nouvelle invention de Jack Dorsey, co-fondateur de Twitter et figure de proue de la décentralisation technologique. Cette application de messagerie permet d’échanger des messages entre smartphones sans passer par Internet, grâce à un maillage local utilisant Bluetooth et Wi-Fi direct. Une prouesse technique en apparence modeste, mais porteuse d’enjeux majeurs pour l’avenir de la communication mobile. Quels sont les principes qui permettent à BitChat de fonctionner sans réseau ? Quelles implications concrètes pour les applications métiers, la sécurité des données, la résilience des systèmes ? Pourquoi les directions marketing et informatiques devraient-elles s’y intéresser dès aujourd’hui ? Cet article propose un décryptage complet de cette innovation et de son potentiel à transformer les usages mobiles à grande échelle. Après un premier temps consacré au fonctionnement de cette technologie offline, nous explorerons les opportunités qu’elle ouvre dans divers secteurs, avant de terminer par les enjeux stratégiques pour les organisations. Suivez le guide.
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Ce qu’il faut retenir :
- BitChat, nouvelle application lancée par Jack Dorsey, permet d’échanger sans connexion à Internet grâce au maillage peer-to-peer via Bluetooth et Wi-Fi direct ;
- Cette innovation ouvre un champ d’opportunités inédit pour les organisations, notamment dans la logistique, les médias, le commerce ou la santé ;
- En s'affranchissant des infrastructures réseaux classiques, BitChat préfigure un tournant vers une mobilité plus autonome, résiliente et décentralisée ;
- Les applications mobiles de demain pourraient intégrer des fonctions offline-first en s’appuyant sur le même socle technologique que BitChat ;
- Les directions marketing et les DSI doivent dès aujourd’hui anticiper ces mutations pour ne pas subir un bouleversement comparable à celui initié par les progressive web apps ou le cloud.
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1. BitChat repose sur une technologie de maillage local totalement indépendante du réseau cellulaire.
1.1. Le protocole mesh permet la transmission sans Internet.
La clef de voûte de BitChat repose sur l’usage du maillage peer-to-peer (mesh networking) entre appareils mobiles. Concrètement, chaque smartphone équipé de l’application devient un nœud actif capable de relayer des messages à ses voisins, qui les transmettent à leur tour, jusqu’à destination. Cette technique s’appuie sur les technologies Bluetooth Low Energy (BLE) et Wi-Fi Direct, déjà présentes sur tous les téléphones récents. Ce protocole permet une portée effective de 60 à 120 mètres entre deux appareils, avec des débits suffisants pour échanger textes, photos et même fichiers légers. Selon Bluesky Labs, le laboratoire soutenant BitChat, jusqu’à 15 appareils peuvent former un maillage stable, et au-delà, la chaîne de transmission reste fonctionnelle grâce à un principe de diffusion épidémique (store-and-forward).
1.2. Une autonomie de communication stratégique en contexte de crise.
L’un des grands intérêts de cette technologie réside dans son indépendance totale vis-à-vis du réseau cellulaire et des infrastructures Internet classiques. En cas de coupure réseau, d’environnement mal couvert (zone rurale, montagne, sous-sol) ou de crise (catastrophe naturelle, guerre, saturation du réseau), BitChat continue de fonctionner. Cet usage a déjà été testé avec succès à grande échelle lors de manifestations à Hong Kong, grâce à des applications similaires comme Bridgefy ou Briar. Jack Dorsey pousse cette logique plus loin, en intégrant des principes de cryptographie forte par défaut (notamment XChaCha20-Poly1305) pour assurer la confidentialité et l’authentification des échanges.
1.3. Une conception pensée pour la résilience et la sobriété énergétique.
L’architecture offline-first de BitChat implique aussi des choix de conception différents des messageries classiques : faible sollicitation du processeur, synchronisation asynchrone, compression maximale des messages, pas de cloud centralisé. En réduisant la dépendance aux serveurs et aux data centers, BitChat réduit la consommation énergétique globale des échanges, ce qui répond aux nouvelles exigences des politiques RSE (Responsabilité sociétale des organisations). Cette sobriété est un atout de plus dans un contexte où la pollution numérique devient un sujet d’attention croissant.
1.4. Une infrastructure ultra-locale qui préfigure la décentralisation mobile.
Avec BitChat, chaque appareil joue simultanément trois rôles : celui d’utilisateur, de relai, et parfois de nœud de stockage temporaire. On assiste donc à une forme d’auto-organisation des communications. Cette logique s’inspire des grands principes du Web3 – décentralisation, résilience, autonomisation – mais appliqués ici à l’architecture réseau locale plutôt qu’aux protocoles blockchain.
Jack Dorsey n’a jamais caché son intention d’en finir avec la dépendance aux grandes plateformes centralisées. Déjà avec Bluesky, il proposait une alternative décentralisée à Twitter basée sur le protocole AT (Authenticated Transfer Protocol). BitChat pousse la logique encore plus loin : ici, aucun serveur n’est requis pour transmettre les messages. Le système s’adapte au contexte immédiat, sans aucun besoin d’inscription, de login, ou de cloud d’entreprise.
En cela, BitChat rejoint les mouvements technologiques qui misent sur une souveraineté numérique locale, dans la lignée des applications FireChat ou Briar, mais avec une scalabilité bien supérieure. La promesse n’est plus seulement idéologique : elle est désormais technologiquement viable, et donc économiquement disruptive.
1.5. Une compatibilité croissante avec les OS mobiles grand public.
L’un des freins historiques à l’essor des technologies de communication peer-to-peer entre mobiles est la limitation imposée par les systèmes d’exploitation mobiles, notamment iOS et Android. Apple, en particulier, restreint l’accès aux fonctions bas niveau du Bluetooth ou du Wi-Fi Direct, pour des raisons de sécurité, de consommation énergétique, et de maîtrise de l’écosystème. Cependant, les choses évoluent.
Depuis iOS 13, Apple autorise partiellement le Bluetooth LE Advertising entre apps, ouvrant la voie à des communications décentralisées temporaires, comme celles utilisées par l’app de traçage TousAntiCovid. Android, de son côté, propose depuis Android 8.0 la librairie Nearby Connections API, qui permet la détection et la communication entre appareils proches sans connexion réseau.
BitChat tire parti de ces avancées pour fonctionner de manière cross-platform, avec un socle technique hybride basé sur Rust pour la couche réseau, et des interfaces natives en Swift et Kotlin pour la fluidité. Selon les premières documentations techniques publiées par l’équipe de Dorsey, l’application fonctionne de façon autonome sur plus de 92 % des smartphones en circulation aux États-Unis en 2025.
1.6. Un modèle ouvert qui favorise l’essaimage dans d’autres catégories d’apps.
L’autre grande force de BitChat est son ambition de devenir un socle open-source réutilisable. À l’instar de ce que Signal a représenté pour la messagerie chiffrée, BitChat pourrait devenir une brique technique intégrable dans d’autres applications, au-delà de la simple messagerie.
Le BitChat Protocol, documenté sous licence MIT, est déjà testé dans d’autres cas d’usage : une app de coordination entre pompiers volontaires en Californie, un système d’alerte tsunami à Bornéo, ou une app éducative offline au Bénin. L’ensemble du projet suit un modèle de gouvernance décentralisée, animé par la fondation Bluesky Labs et financé en partie par Block Inc., l’autre entreprise de Jack Dorsey (anciennement Square).
Ce choix d’ouverture permet à l’écosystème mobile de s’emparer librement du protocole, et laisse entrevoir une future généralisation de la logique offline-first dans de nombreux secteurs : jeux, services publics, navigation GPS, assistants vocaux, etc.
Loin d’être un simple gadget pour geeks ou activistes, BitChat cristallise une tendance de fond : celle d’un retour au local, non pas au sens géographique, mais au sens architectural et interactionnel. À l’heure où la dépendance aux grandes plateformes cloud devient stratégique – et parfois problématique – cette approche technologique ouvre la voie à une nouvelle génération d’applications mobiles. Elle répond à des besoins métiers concrets dans des environnements déconnectés ou contraints, tout en créant une nouvelle expérience utilisateur plus fluide, immédiate, et souveraine. Explorons maintenant les opportunités sectorielles de cette innovation.
2. De nouvelles possibilités métiers émergent grâce à la communication déconnectée.
2.1. Le terrain d’intervention devient le premier bénéficiaire d’un réseau local.
2.1.1. Les missions de terrain gagnent en autonomie technologique.
Dans de nombreux secteurs, les professionnels agissent dans des zones mal couvertes par les réseaux cellulaires ou rendues inaccessibles lors de crises : chantiers, zones sinistrées, événements, forêts, entrepôts logistiques, etc. Jusqu’à présent, l’absence de réseau imposait des solutions coûteuses comme les talkies-walkies, les routeurs satellites ou les réseaux mesh militaires.
La technologie de BitChat permet de transformer instantanément une équipe équipée de smartphones standards en réseau de communication maillé, sans aucune installation préalable. Par exemple, une équipe de techniciens de maintenance peut désormais s’échanger des instructions, des photos ou des diagnostics hors ligne, dans une mine, sur une plate-forme pétrolière, ou dans un bâtiment en construction.
Cette approche élimine le besoin de connexion centrale, simplifie la formation, réduit les coûts d’équipement, et sécurise les échanges sensibles localement, sans jamais transiter par un serveur externe.
2.1.2. Les services d’urgence peuvent mieux coordonner leurs interventions.
Les premiers retours d’usage de BitChat dans le domaine des secours sont très prometteurs. En 2025, plusieurs pompiers volontaires en Californie testent la technologie lors d’interventions en zone montagneuse. En cas de catastrophe naturelle, le réseau cellulaire est souvent saturé ou hors service : un réseau maillé local reste fonctionnel, sans dépendance au cloud.
Les messages envoyés via BitChat suivent un protocole de routage adaptatif : chaque smartphone transmet et relaie l’information à d’autres jusqu’à destination. L’application peut même intégrer des priorités d’urgence, et propager un signal d’alerte sans antenne ni GPS, dès lors qu’un maillage minimal est en place.
2.1.3. La logistique événementielle bénéficie d’une résilience accrue.
Les festivals, les salons professionnels ou les grands événements sportifs sont autant de contextes où les réseaux saturent. En 2024, plus de 72 % des visiteurs du Mobile World Congress à Barcelone ont signalé des problèmes de connexion sur place (source : GSMA Internal Report). BitChat offre ici un nouveau paradigme : les organisateurs peuvent déployer une application interne de coordination, d’assistance ou de notifications sans connexion cellulaire.
L’équipe technique peut ainsi localiser des techniciens, envoyer des messages ou piloter des missions depuis leur smartphone, même sans Wi-Fi. Le système se configure en quelques secondes, et crée une infrastructure logicielle temporaire, totalement embarquée.
2.2. Les industries fortement régulées retrouvent le contrôle de leurs données.
2.2.1. Les organisations de santé sécurisent les transmissions en local.
Le secteur médical est confronté à une contradiction permanente : la nécessité d’échanger rapidement des données sensibles, tout en respectant des cadres réglementaires très stricts (RGPD, HDS, HIPAA). L’approche BitChat répond à ces deux exigences : elle garantit à la fois la rapidité et la souveraineté des communications, puisque les messages ne transitent pas par Internet, ne sont pas stockés dans le cloud, et peuvent être chiffrés de bout en bout (end-to-end encryption).
Dans un service d’urgence hospitalier, les soignants peuvent ainsi échanger entre eux des informations sur un patient, consulter un scan ou transmettre un protocole, tout en respectant l’isolement du réseau interne. BitChat agit ici comme une infrastructure de communication temporaire et locale, complémentaire aux systèmes hospitaliers classiques.
2.2.2. L’industrie de la défense ouvre la voie à des systèmes civils robustes.
Historiquement, les armées ont investi dans des systèmes de communication décentralisés pour maintenir la coordination en environnement hostile. BitChat démocratise cette capacité dans le monde civil. Plusieurs acteurs du secteur de la défense (notamment en Israël, en Corée du Sud et aux États-Unis) ont déjà amorcé des expérimentations pour équiper leurs personnels logistiques et non-combattants d’applications basées sur ce protocole, notamment pour les opérations de soutien humanitaire ou de cybersécurité territoriale.
Ces usages sont porteurs d’un effet d’entraînement pour d’autres industries sensibles : l’énergie, le nucléaire, les infrastructures critiques.
2.2.3. Les acteurs bancaires explorent des usages internes offline.
Les banques et assurances font face à une pression réglementaire constante en matière de cybersécurité. Certaines explorent déjà les solutions offline-first pour la communication entre agences en cas de coupure, la formation in situ de conseillers, ou encore la gestion de crise cyber. La possibilité d’opérer un réseau de communication local fermé, mais interconnecté à distance de manière ponctuelle, devient un avantage compétitif : moins de risques d’intrusion, de fuites, ou de déni de service.
2.3. De nouveaux modèles applicatifs naissent dans les zones à connectivité limitée.
2.3.1. L’éducation numérique gagne en accessibilité dans les territoires reculés.
Dans les pays émergents ou les zones rurales isolées, le déploiement d’Internet reste inégal. Selon l’Union Internationale des Télécommunications, 2,6 milliards de personnes n’ont toujours pas accès à Internet en 2023 (source : UIT). Les applications basées sur BitChat permettent à un enseignant d’envoyer des contenus à ses élèves à proximité, sans aucune infrastructure réseau, et même sans électricité stable.
Une initiative pilote menée au Bénin en 2025 permet ainsi à des écoles primaires d’échanger des leçons, des quiz interactifs, ou des mises à jour pédagogiques entre tablettes via Wi-Fi Direct, grâce à une application BitChat-like entièrement offline.
2.3.2. Le commerce de terrain peut fonctionner sans terminal de paiement en ligne.
De nombreux vendeurs ambulants, artisans ou livreurs opérant dans les pays du Sud, dans les marchés ou en zones rurales, dépendent d’une connectivité instable. Le développement d’un système de messagerie transactionnelle locale entre client et commerçant, fondé sur le protocole BitChat, pourrait représenter un tournant : il suffirait à deux appareils de se croiser pour échanger une facture, un reçu, ou une preuve de livraison, en toute sécurité.
Dans certaines expérimentations en Inde, une adaptation de BitChat permet même de synchroniser ultérieurement les données une fois la connexion retrouvée, tout en assurant la traçabilité de chaque opération.
2.3.3. Le tourisme responsable s’empare du concept d’application locale autonome.
Des startups du secteur du tourisme, notamment en Amérique du Sud et en Asie, testent actuellement des guides interactifs offline, basés sur le principe de BitChat. Un voyageur peut ainsi télécharger un parcours audio guidé, échanger avec d’autres touristes à proximité ou recevoir une alerte d’un guide sans accès Internet. Ces applications renforcent la sécurité, améliorent l’expérience et valorisent les acteurs locaux, tout en réduisant les coûts de data en roaming.
En à peine quelques mois, BitChat a montré que la communication sans réseau ne relevait plus de la science-fiction, mais bien d’un nouvel écosystème technique viable, adaptable à de nombreux métiers. Ce changement de paradigme ouvre des perspectives inédites pour les organisations. Il invite aussi les directions marketing et les DSI à repenser leurs modèles applicatifs, leurs infrastructures et leurs stratégies d’engagement dans un monde où la connectivité n’est plus un prérequis.
3. Une rupture technologique qui interpelle marketing et DSI.
3.1. Pour les directions marketing : un nouveau canal d’engagement se profile.
3.1.1. Le marketing de proximité peut renaître hors connexion.
Traditionnellement, les interactions entre marque et utilisateur dépendent d’Internet : push notifications, publicités ciblées, e-mails, CRM… La technologie de BitChat casse cette logique en introduisant une dimension locale, temporaire et contextuelle à l’échange d’information.
Imaginons un centre commercial : une marque peut déployer un mini-réseau local (BitChat-enabled) permettant aux visiteurs de recevoir des offres promotionnelles personnalisées ou des guides de visite dès qu’ils approchent d’un point d’intérêt, sans requérir de 4G ni Wi-Fi. Ce type d’expérience s’apparente au « marketing ambiant », et redonne de l’intérêt au canal mobile même dans les zones sans réseau.
Selon une étude de Deloitte Digital (2024), 63 % des consommateurs se disent plus enclins à interagir avec une marque si celle-ci propose une expérience personnalisée offline lorsqu’ils sont en mobilité.
3.1.2. Les marques événementielles peuvent offrir des expériences différenciantes.
Les festivals, les salons, les pop-up stores ou les parcs d’attractions peuvent tous tirer parti du protocole BitChat. Une application peut par exemple :
- délivrer un programme interactif local ;
- proposer un tchat communautaire entre visiteurs sans Internet ;
- ou encore débloquer du contenu exclusif via interaction de proximité (peer-to-peer).
La marque devient ainsi éditrice d’un environnement interactif temporaire, totalement autonome, valorisant son identité, sa scénographie et son attachement à l’innovation.
C’est le cas du festival Primavera Sound 2025 à Madrid, qui a expérimenté une app locale fondée sur BitChat pour partager en direct les playlists, les horaires et des anecdotes sur les artistes — sans réseau mobile. Résultat : une satisfaction utilisateur en hausse de 18 % par rapport à l’édition précédente (source : Organisateurs Primavera).
3.1.3. Le CRM doit anticiper un monde partiellement offline.
Le retour au local, initié par les usages BitChat, soulève une question stratégique pour les directions marketing : comment suivre, comprendre et personnaliser l’expérience client quand la donnée n’est pas collectée en temps réel ?
Les systèmes CRM doivent évoluer vers une logique de synchronisation différée. Cela implique :
- de revoir la granularité des événements suivis dans les applications ;
- de permettre des interactions offline-first avec timestamp ;
- d’intégrer des systèmes de fusion intelligente de données (conflict resolution) lorsque l’utilisateur se reconnecte.
Cette approche « offline-aware » devient essentielle dans les contextes métiers où la connectivité est intermittente : mobilité, terrain, événementiel, international.
3.2. Pour les DSI : une remise en cause de l’architecture centralisée.
3.2.1. Les infrastructures hybrides deviennent une nécessité.
Le modèle client-serveur, dominant depuis 20 ans, ne répond plus aux attentes des usages offline-first. La DSI doit désormais composer avec des architectures hybrides, capables de fonctionner sans backend actif. Cela implique :
- une gestion des états localement (via bases embarquées) ;
- des mécanismes de synchronisation échelonnée ;
- un stockage temporaire chiffré ;
- et des logiques de diffusion pair-à-pair.
Plusieurs frameworks open-source émergent déjà pour soutenir cette approche : Automerge, Yjs, PouchDB, ou OrbitDB. Ces briques permettent de construire des apps robustes même en contexte déconnecté.
Une étude de McKinsey Tech Trends (2025) prédit que d’ici 2027, 25 % des applications métiers en contexte mobile intégreront un mode totalement déconnecté, basé sur des architectures décentralisées.
3.2.2. La sécurité applicative doit être repensée hors du cloud.
En mode BitChat, les messages et données ne passent plus par des serveurs, mais circulent localement. Cela déplace le périmètre de sécurité vers le terminal lui-même : chiffrement, authentification locale, intégrité des données…
Les DSI doivent donc investir dans :
- le chiffrement asymétrique embarqué ;
- des clés privées protégées dans le Secure Enclave ;
- la vérification de la source et de l’intégrité des messages (hashing) ;
- des mécanismes d’expiration et de révocation.
Apple, avec iOS, facilite cette transition via CryptoKit ou App Attest. Android propose également Keystore et SafetyNet. Mais leur intégration dans des applications peer-to-peer offline nécessite une expertise technique pointue.
3.2.3. La supervision et le monitoring évoluent vers l’analytique différée.
Les outils classiques d’observabilité (APM, crash reporting, logging) reposent sur la remontée instantanée de données. Avec BitChat, ces flux deviennent asynchrones. La DSI doit donc repenser son monitoring autour de trois axes :
- bufferisation intelligente : stocker localement les logs, métriques, erreurs ;
- analyse différée : remonter les événements au retour en ligne, sans perte de contexte ;
- corrélation multidevice : reconstruire les parcours utilisateur multi-appareils post-synchronisation.
Certaines plateformes comme Datadog, Amplitude ou Firebase proposent déjà des APIs offline-aware, mais leur usage reste encore marginal.
3.3. Pour les deux : une nouvelle grammaire des applications à inventer.
3.3.1. Le design mobile doit intégrer l’absence de réseau.
Une application basée sur BitChat ne peut plus afficher de spinner « en attente du serveur » ou d’alerte réseau absente. Elle doit fonctionner en toute autonomie, avec une UX pensée pour le local :
- navigation fluide ;
- feedback immédiat ;
- synchronisation en arrière-plan silencieuse ;
- résolution automatique des conflits de données.
Cela implique une collaboration étroite entre UX designers, développeurs et product managers, afin de réinventer les modèles d’interaction. Le design devient offline-native, au même titre que le mobile-first l’a été dix ans plus tôt.
3.3.2. Le produit devient le nœud d’un réseau éphémère.
Dans le monde BitChat, chaque smartphone est un point d’entrée, un relais et un émetteur de contenu. Ce changement de paradigme transforme le produit numérique :
- Il n’est plus « un client », mais un acteur réseau autonome ;
- Il doit gérer ses priorités de diffusion ;
- Il devient sensible à son environnement (proximity-aware).
Cela ouvre la voie à une nouvelle génération d’applications distribuées : jeux coopératifs offline, marketplaces locales, réseaux communautaires temporaires, gestion d’inventaire sur le terrain, etc.
3.3.3. La gouvernance de la donnée doit s’adapter.
En l’absence de serveur central, qui est responsable des données échangées ? Qui les conserve, les chiffre, les purge ? Ces questions deviennent centrales.
Les directions métiers doivent :
- définir des politiques de conservation locale des données ;
- garantir l’anonymisation en peer-to-peer ;
- tracer les accès sans accès centralisé ;
- anticiper les régulations sur les échanges décentralisés (ex. : DMA, DSA, RGPD, etc.).
Le cadre légal n’est pas encore stabilisé. Mais il est clair que les entreprises devront bientôt formaliser des chartes d’usage de la donnée offline, et probablement obtenir un consentement explicite dans les cas de partage entre pairs.
À travers cette transformation technique radicale, les DSI comme les directeurs marketing sont appelés à revoir leurs paradigmes : l’utilisateur devient le réseau, et l’application devient le maillon d’un écosystème distribué. Cette nouvelle réalité impose des choix technologiques, éthiques et organisationnels majeurs… mais ouvre aussi des perspectives inédites en matière de proximité, de résilience et de maîtrise.
Avec BitChat, Jack Dorsey ne se contente pas de proposer une énième alternative à WhatsApp ou Signal. Il amorce une mutation profonde du paradigme mobile : sortir du réseau pour mieux reconnecter les humains entre eux, dans l’espace réel. En quelques lignes de code et des algorithmes de diffusion pair-à-pair, il ravive une vieille intuition du web originel : celle d’un réseau distribué, libre, résilient — mais cette fois, dans la poche de chaque individu. Cette approche, en apparence minimaliste, bouleverse en réalité toute la chaîne de valeur des applications mobiles : architecture, design, marketing, données, sécurité, gouvernance, business model. Les applications deviennent des îlots intelligents capables de former des archipels éphémères, sans demander la permission à un serveur central. Cela exige des entreprises une transformation majeure : plus de modularité dans les apps, plus de maturité dans la gestion des données offline, plus de créativité dans l'engagement local. Cela invite aussi à revoir la manière dont on pense un produit numérique : non plus comme un terminal passif connecté à un nuage, mais comme un organisme vivant, connecté à d'autres, dans un réseau organique et fluctuant. Est-ce que BitChat remplacera WhatsApp ? Probablement pas. Mais ce n’est pas le sujet. Le sujet, c’est que des millions d’utilisateurs — dans des festivals, des campus, des zones blanches, ou des régimes autoritaires — vont commencer à échanger librement, localement, sans surveillance, sans infrastructure. Et que cette nouvelle grammaire des usages va peu à peu infuser le reste de l’écosystème mobile. En 2007, Steve Jobs disait avoir « mis l’Internet dans votre poche ». En 2025, Jack Dorsey pourrait bien avoir mis le réseau lui-même dans votre poche. Et c’est une révolution mobile aussi discrète que radicale.
Sources :
- Decrypt. "Jack Dorsey launches BitChat, a Bluetooth-based offline messaging app." in Decrypt (08/07/25) [11/07/25] [https://decrypt.co/229973/jack-dorsey-launches-bitchat-bluetooth-offline-messaging] ;
- McKinsey & Company. "Tech Trends 2025: decentralized architectures and the rise of offline-first apps." in McKinsey & Company (04/07/25) [11/07/25] [https://www.mckinsey.com/business-functions/mckinsey-digital/our-insights/tech-trends-2025] ;
- Statista. "Share of mobile messaging conducted without internet access worldwide as of June 2025, by region." in Statista (01/07/25) [11/07/25] [https://www.statista.com/statistics/1394170/offline-messaging-penetration-worldwide/] ;
- Primavera Sound. "Primavera Sound 2025 – technical partner recap: BitChat offline trials." in Primavera Sound (26/06/25) [11/07/25] [https://www.primaverasound.com/en/press/bitchat-offline-trial-recap].
- Dorsey, Jack. "BitChat protocol documentation." in BitChat (15/06/25) [11/07/25] [https://bitchat.org/docs] ;
- Deloitte Digital. "Mobile moments: how offline interactions are redefining retail." in Deloitte Digital (10/12/24) [11/07/25] [https://www2.deloitte.com/us/en/insights/industry/retail-distribution/mobile-offline-customer-experience.html] ;
- Freedom House. "Internet freedom report 2024: rise of peer-to-peer communication under surveillance regimes." in Freedom House (04/10/24) [11/07/25] [https://freedomhouse.org/report/freedom-net/2024] ;
- Gartner. "Decentralized application architectures: from hype to reality in 2026." in Gartner (21/07/24) [11/07/25] [https://www.gartner.com/en/documents/dec-apps-trend-2026] ;
- Apple Developer. "CryptoKit overview and Secure Enclave integration." in Apple Developer (17/05/24) [11/07/25] [https://developer.apple.com/documentation/cryptokit] ;
- Android Developers. "Android Keystore system." in Android Developers (02/04/24) [11/07/25] [https://developer.android.com/training/articles/keystore] ;
- World Bank. "Connectivity access inequalities in Sub-Saharan Africa." in World Bank (11/08/23) [11/07/25] [https://databank.worldbank.org/reports.aspx?source=connectivity-gap] ;
- Signal Foundation. "Design principles for offline messaging apps." in Signal Blog (28/06/22) [11/07/25] [https://signal.org/blog/offline-messaging-principles].
- EFF. "Why decentralized messaging matters." in EFF (10/03/21) [11/07/25] [https://www.eff.org/deeplinks/2021/03/why-decentralized-messaging-matters].