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Protéger vos données dans le cloud : pourquoi l'hébergement américain représente un risque majeur pour votre organisation.

Souveraineté numérique
  • Date de parution
  • Date de mise à jour
  • AuteurCarl-Stéphan Parent

Temps de lecture. 9 minutes.

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Ce qu’il faut retenir :

  • Confier l’hébergement de vos applications à des fournisseurs de cloud américains expose vos données aux lois extraterritoriales des États-Unis, notamment le CLOUD Act et le FISA ;
  • Le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) impose des obligations strictes en matière de protection des données personnelles, particulièrement pour les transferts hors de l'Union Européenne (UE) ;
  • Les principaux acteurs américains du cloud, tels que Amazon Web Services (AWS), Microsoft Azure et Google Cloud Platform (GCP), dominent largement le marché mondial avec des parts de marché cumulées supérieures à 60% ;
  • L'acceptation des conditions générales de ces fournisseurs de cloud implique souvent la reconnaissance que les sauvegardes de données peuvent être effectuées en dehors du territoire européen, augmentant ainsi le risque d'exposition aux lois américaines ;
  • Les organisations publiques et privées doivent évaluer rigoureusement les risques de souveraineté des données avant de choisir une solution d'hébergement;
  • La Suisse, bien que respectueuse de la vie privée, n'étant pas membre de l'UE, les transferts de données vers ce pays doivent être encadrés par des mécanismes juridiques appropriés pour garantir la conformité au RGPD ;
  • Choisir des solutions d'hébergement en cloud européennes ou des alternatives souveraines est une démarche stratégique pour minimiser les risques juridiques et de conformité.

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Vos données sont-elles réellement en sécurité dans le cloud américain ? À l'ère du numérique, où la donnée est devenue le nouvel or noir, la question de son hébergement et de sa protection est plus que jamais primordiale, en particulier pour les décideurs informatiques et marketing ainsi que les dirigeants d'entreprises et de startups. Quels sont les risques liés à la localisation de vos serveurs ? Comment le CLOUD Act et le FISA peuvent-ils impacter votre activité ? Et quelles sont vos responsabilités en vertu du RGPD ? Cet article explorera les implications des lois extraterritoriales américaines sur l'hébergement de données, les obligations du RGPD en matière de données personnelles et sensibles, et les spécificités de l'hébergement en Suisse, pour vous aider à prendre des décisions éclairées. Plongeons ensemble dans ces enjeux complexes.

1. Les lois extraterritoriales américaines et l’épée de Damoclès sur vos données.

1.1. Le CLOUD Act, une portée au-delà des frontières. 

Le CLOUD Act (Clarifying Lawful Overseas Use of Data Act), promulgué en 2018, est une loi américaine qui permet aux autorités américaines d'exiger des fournisseurs de services cloud basés aux États-Unis, ou ayant des filiales aux États-Unis, de fournir les données stockées sur leurs serveurs, quelle que soit leur localisation géographique. Cela signifie que même si vos données sont hébergées sur des serveurs physiques en Europe, si le fournisseur de cloud est américain, elles peuvent être soumises à une réquisition. Les principaux acteurs du cloud public, tels que Amazon Web Services (AWS), Microsoft Azure et Google Cloud Platform (GCP), dominent le marché mondial et sont directement concernés par cette loi. Selon des données du premier trimestre 2025, AWS détient environ 29% de part de marché, Microsoft Azure 22% et Google Cloud Platform 12%, ces trois géants américains représentant à eux seuls plus de 60% du marché mondial des services d'infrastructure cloud. Il est donc impératif de comprendre que la localisation physique des serveurs ne garantit pas à elle seule la protection de vos données contre des lois étrangères.

1.2. Le FISA, un outil de surveillance élargi. 

Le Foreign Intelligence Surveillance Act (FISA) est une loi américaine qui autorise la surveillance électronique de personnes non-américaines à l'étranger, sans mandat judiciaire traditionnel. Bien que le FISA ne cible pas directement les entreprises européennes, il peut être utilisé pour accéder aux données des citoyens non-américains transitant ou stockées sur des infrastructures américaines, y compris celles des fournisseurs de cloud comme AWS, Azure ou GCP. La section 702 du FISA est particulièrement controversée, car elle permet la collecte massive de communications électroniques. En 2022, le Bureau du Directeur du Renseignement National des États-Unis a révélé que les autorités américaines avaient accédé aux données de millions de personnes dans le cadre du FISA, ce qui souligne l'ampleur de cette surveillance.

1.3. Des conséquences potentiellement désastreuses pour les entreprises. 

Les implications de ces lois sont considérables pour les entreprises européennes. Une réquisition de données en vertu du CLOUD Act ou du FISA pourrait non seulement compromettre la confidentialité de vos informations et de celles de vos clients, mais aussi entraîner des violations du RGPD, exposant ainsi votre entreprise à des amendes substantielles. Il est également essentiel de noter que, dans leurs conditions générales de service (Terms of Service), la plupart des acteurs américains du cloud incluent des clauses stipulant que les sauvegardes de données peuvent être répliquées ou stockées dans différentes régions géographiques, y compris en dehors de l'Europe. En acceptant ces conditions, le client reconnaît de facto que ses données, même si le service principal est hébergé en Europe, peuvent être sauvegardées sur des serveurs situés aux États-Unis ou dans d'autres juridictions soumises au CLOUD Act ou au FISA. Par exemple, la Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés (CNIL) a déjà prononcé des sanctions importantes pour des non-conformités au RGPD, dont certaines liées à des transferts de données vers des pays tiers sans garanties adéquates. Confier vos données à des acteurs américains comme AWS, Azure ou GCP sans une analyse approfondie des risques, c'est prendre le pari que vos données ne seront jamais visées par une réquisition. C'est un risque que peu d'entreprises peuvent se permettre de prendre, surtout dans un contexte où 89% des entreprises utilisent plusieurs clouds, augmentant ainsi la complexité de la gestion des données et les risques potentiels liés à la juridiction applicable.

2. Le RGPD et l'obligation de protéger vos données.

2.1. Un cadre juridique strict pour la protection des données personnelles. 

Le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), entré en application en mai 2018, a profondément modifié la manière dont les entreprises et les organisations gèrent les données personnelles des citoyens de l'Union Européenne. Son objectif principal est de renforcer les droits des individus concernant leurs données personnelles et de responsabiliser les entités qui les traitent. Le RGPD s'applique à toute organisation qui traite des données personnelles de résidents de l'UE, qu'elle soit établie au sein de l'UE ou non. En 2023, l'Autorité de protection des données (APD) irlandaise a infligé une amende record de 1,2 milliard d'euros à Meta Platforms Ireland Limited pour des transferts de données personnelles vers les États-Unis en violation du RGPD, rappelant l'importance de la conformité.

2.2. Les données sensibles, une protection renforcée. 

Le RGPD définit des catégories spéciales de données, dites « sensibles », qui bénéficient d'une protection accrue en raison de leur nature. Il s'agit notamment des données révélant l'origine raciale ou ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques, l'appartenance syndicale, les données génétiques, les données biométriques, les données concernant la santé ou la vie sexuelle ou l'orientation sexuelle d'une personne physique. Le traitement de ces données est en principe interdit, sauf exceptions strictement encadrées (par exemple, consentement explicite de la personne concernée, nécessité pour des raisons d'intérêt public important). Confier l'hébergement de ce type de données à des fournisseurs comme AWS, Azure ou GCP, qui sont soumis à des lois extraterritoriales et dont les politiques de sauvegarde peuvent impliquer un stockage hors UE, est un risque majeur, car une divulgation non autorisée pourrait avoir des conséquences particulièrement graves pour les individus concernés et pour la réputation de votre entreprise.

2.3. Les obligations des organisations publiques et privées en matière d’hébergement. 

Que vous soyez une organisation publique ou privée, vos obligations en matière d'hébergement de données personnelles et sensibles sont claires : vous devez garantir un niveau de protection équivalent à celui du RGPD. Cela implique de choisir des sous-traitants (comme les fournisseurs de cloud) qui offrent des garanties suffisantes en termes de sécurité, de confidentialité et de conformité légale. La Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE), à travers des arrêts comme le célèbre arrêt Schrems II de 2020, a invalidé le Privacy Shield et souligné que les transferts de données vers les États-Unis nécessitent des mesures complémentaires pour garantir un niveau de protection substantiellement équivalent à celui de l'UE. Ces décisions ont créé une incertitude juridique et ont conduit de nombreuses entreprises à revoir leurs stratégies d'hébergement, en particulier vis-à-vis des clauses de sauvegarde de données des fournisseurs américains.

3. La Suisse, une alternative à considérer avec prudence.

3.1. Un statut particulier vis-à-vis de l'Union Européenne. 

La Suisse, bien que géographiquement au cœur de l'Europe, n'est pas membre de l'Union Européenne ni de l'Espace Économique Européen (EEE). Cela signifie que le droit de l'UE, y compris le RGPD, ne s'applique pas directement en Suisse. Cependant, la Suisse a sa propre loi sur la protection des données, la Loi fédérale sur la protection des données (LPD), qui a été révisée et modernisée pour se rapprocher des standards du RGPD. Le Conseil fédéral suisse a d'ailleurs reconnu l'adéquation de la LPD avec le RGPD. En 2023, la Commission européenne a confirmé son statut de décision d'adéquation pour la Suisse, ce qui facilite les transferts de données entre l'UE et la Suisse sans nécessiter de garanties supplémentaires.

3.2. Des conséquences sur l'hébergement de données. 

Malgré la décision d'adéquation, il est fondamental de comprendre les implications de l'hébergement de données en Suisse. Bien que la LPD suisse offre un niveau de protection élevé, les données hébergées en Suisse restent soumises aux lois suisses, et non aux lois de l'UE. Cela signifie que si une autorité suisse émet une réquisition de données, celle-ci sera régie par le droit suisse. Pour les entreprises européennes, transférer des données personnelles vers la Suisse est en principe autorisé sans garanties additionnelles, grâce à la décision d'adéquation. Cependant, il est essentiel de s'assurer que le sous-traitant suisse respecte non seulement la LPD, mais aussi les principes de protection des données imposés par le RGPD à votre organisation en tant que responsable du traitement.

3.3. Un choix à évaluer avec circonspection. 

Opter pour un hébergeur en Suisse peut sembler être une solution attractive pour éviter les écueils des lois américaines. Cependant, cette décision doit être prise après une analyse approfondie et ne doit pas être considérée comme une panacée. Assurez-vous que le fournisseur de cloud suisse ne dépend pas d'infrastructures ou de sociétés mères américaines, car cela pourrait vous ramener au point de départ en termes de risques juridiques. De plus, il est primordial de vérifier les clauses contractuelles et de s'assurer que le contrat avec l'hébergeur suisse inclut des garanties claires concernant la protection des données, la localisation des serveurs et les procédures en cas de demande d'accès par des autorités. Il est notamment essentiel de s'assurer que les politiques de sauvegarde du fournisseur suisse garantissent que les copies de vos données restent bien sur le territoire helvétique. La prudence est de mise, car même dans un pays réputé pour sa protection des données, les nuances juridiques peuvent avoir des conséquences importantes.

Nous avons parcouru ensemble les méandres des lois extraterritoriales américaines, les exigences du RGPD et les spécificités de l'hébergement en Suisse. Il est clair que confier l'hébergement de vos applications à des fournisseurs de cloud américains comme AWS, Microsoft Azure ou Google Cloud Platform expose vos données à des risques considérables liés au CLOUD Act et au FISA, mettant en péril la confidentialité et la conformité de vos traitements. L'acceptation de leurs conditions générales, incluant souvent des clauses sur la sauvegarde des données en dehors de l'Europe, amplifie ces risques. Le RGPD, quant à lui, vous impose des obligations strictes, particulièrement en matière de données personnelles et sensibles, vous sommant de garantir un niveau de protection adéquat, même lors de transferts internationaux. Enfin, si la Suisse offre un cadre protecteur, son statut hors UE requiert une vigilance accrue et une analyse rigoureuse des implications contractuelles, notamment pour les sauvegardes. Face à ces enjeux, quelles sont les stratégies les plus robustes pour garantir la souveraineté de vos données ? Comment intégrer ces considérations dans votre feuille de route numérique pour les prochaines années ? Et quels sont les bénéfices tangibles d'une approche proactive en matière de protection des données pour l'image de marque et la confiance de vos clients ?

Sources :

CloudZero. "21+ Top Cloud Service Providers Globally In 2025." in CloudZero. (21/05/2025). [03/06/2025]. [www.cloudzero.com/blog/cloud-service-providers/].

Canalys. "Les dépenses mondiales en matière de cloud augmentent de 21 % au premier trimestre 2024 : AWS, Microsoft Azure et Google Cloud restent les principaux fournisseurs de cloud, selon Canalys." in Developpez.com. (22/05/2024). [03/06/2025]. [https://cloud-computing.developpez.com/actu/358127/Les-depenses-mondiales-en-matiere-de-cloud-augmentent-de-21-pourcent-au-premier-trimestre-2024-AWS-Microsoft-Azure-et-Google-Cloud-restent-les-principaux-fournisseurs-de-cloud-selon-Canalys/].

Autorité de protection des données irlandaise (APD). "Meta Platforms Ireland Limited fined €1.2 Billion for data transfers to US." in Data Protection Commissioner Ireland. (22/05/2023). [03/06/2025]. [www.dataprotection.ie/en/news-media/press-releases/meta-platforms-ireland-limited-fined-eu1-2-billion-data-transfers-us].

Flexera. "Flexera 2023 State of the Cloud Report." in Flexera. (16/03/2023). [03/06/2025]. [www.flexera.com/about-us/newsroom/press-releases/flexera-2023-state-of-the-cloud-report].

Bureau du Directeur du Renseignement National des États-Unis. "Annual Statistical Transparency Report Pursuant to Section 702 of the Foreign Intelligence Surveillance Act." in Office of the Director of National Intelligence. (29/04/2022). [03/06/2025]. [www.dni.gov/files/ODNI/documents/assessments/2022-Annual-Statistical-Transparency-Report-Section-702-FISA.pdf].

Cour de Justice de l'Union Européenne. "Arrêt de la Cour (grande chambre) du 16 juillet 2020, Data Protection Commissioner contre Facebook Ireland Ltd et Maximillian Schrems." in EUR-Lex. (16/07/2020). [03/06/2025]. [https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:62018CJ0311&from=FR].

Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés (CNIL). "Le CLOUD Act : ce que les entreprises doivent savoir." in CNIL. (28/05/2020). [03/06/2025]. [www.cnil.fr/fr/le-cloud-act-ce-que-les-entreprises-doivent-savoir].

Conseil fédéral suisse. "Révision de la loi sur la protection des données : Questions et réponses." in Département fédéral de justice et police. (25/09/2020). [03/06/2025]. [www.bj.admin.ch/dam/bj/fr/data/staat_buerger/datenschutz/rev-dsg/q-a.pdf].