Quelles sont les super apps majeures autres que WeChat ?

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  • AuteurCarl-Stéphan Parent

Une "super app" est une application mobile qui intègre une multitude de services et de fonctionnalités, allant au-delà de sa fonction initiale. Super app et micro apps sont souvent comparées à des "écosystèmes numériques" ou des "quasi-systèmes d'exploitation" car elles permettent aux utilisateurs d'effectuer diverses activités sans quitter l'application, telles que la messagerie, les paiements, le commerce électronique, la commande de transport, la livraison de repas, les services financiers, etc. Une super app est donc bien plus qu’une simple application mobile : c’est une plateforme tout-en-un qui regroupe une multitude de services auparavant dissociés, réunis dans une seule interface fluide. Elle permet à l’utilisateur de messager, payer, commander un repas, réserver un transport, consulter ses finances ou accéder à des services administratifs, sans jamais quitter l’application. Ce modèle, popularisé en Asie, transforme l’application en écosystème numérique ou même en quasi-système d’exploitation, autour duquel gravitent des micro-apps ou mini-services. Pensées pour maximiser la rétention, la fréquence d’usage et la valeur par utilisateur, les super apps redessinent la façon dont les marques interagissent avec leurs clients. Elles illustrent un changement de paradigme majeur dans le design de services mobiles, où l'intégration, la fluidité et la contextualisation priment sur la spécialisation. Quelles sont les super apps majeures autres que WeChat ? Voici une sélection de super apps notables à travers le monde, souvent moins connues en Europe mais pourtant stratégiques dans leurs régions respectives.
 

1. Les super apps incontournables en Asie.

L’Asie est le berceau des super apps. Portées par des marchés dynamiques, une forte adoption du mobile et des besoins locaux spécifiques, des plateformes comme Grab, Gojek, Alipay, Paytm ou Zalo ont redéfini les usages numériques au quotidien. Ces applications multifonctions intègrent transport, paiement, livraison, services financiers et communication au sein d’un écosystème fluide. Elles illustrent la puissance d’un modèle capable de répondre aux enjeux de croissance, d’inclusion financière et de digitalisation à grande échelle.

1.1. WeChat (Chine). 

C'est l'exemple le plus emblématique d'une super app. Partie d'une application de messagerie, elle propose désormais des paiements mobiles (WeChat Pay), des achats en ligne, des mini-programmes (permettant à d'autres entreprises de créer leurs propres applications au sein de WeChat), la commande de taxis, la réservation de billets, etc.

1.2. Grab : la super app incontournable d’Asie du Sud-Est.

D’abord lancé comme un service de covoiturage, Grab s’est rapidement imposé comme une super app complète. Elle propose désormais une gamme étendue de services : livraison de repas avec GrabFood, envoi de colis via GrabExpress, paiements numériques avec GrabPay, ainsi que des offres financières et d’assurance. Présente dans plusieurs pays d’Asie du Sud-Est – comme Singapour, la Malaisie ou la Thaïlande – Grab simplifie la vie quotidienne en réunissant de nombreux services dans une seule interface. En s’adaptant aux besoins locaux, notamment grâce à des solutions de microcrédit et d’assurance, Grab participe activement à l’inclusion financière. Sa croissance illustre le rôle structurant des super apps dans les économies émergentes de la région.

1.3. Gojek : l’écosystème indonésien tout-en-un.

Né en Indonésie, Gojek a d’abord proposé des services de transport en moto-taxi avant de se diversifier rapidement. La plateforme intègre désormais livraison de repas, logistique, services à domicile et paiements mobiles avec GoPay. Elle s’est construite comme un véritable écosystème numérique, répondant aux besoins quotidiens des citoyens indonésiens. Gojek joue un rôle moteur dans la digitalisation de l’économie locale, notamment en facilitant l’activité des petites entreprises et des travailleurs indépendants. Elle incarne une stratégie inclusive, qui soutient l’emploi et encourage l’intégration numérique dans un pays à forte croissance.

1.4. Alipay : la super app chinoise de paiement et bien plus.

Si Alipay s’est d’abord imposée comme une solution de paiement mobile, elle s’est rapidement transformée en une super app intégrant un large éventail de services : gestion de budget, assurances, investissements, paiement de factures ou encore prise de rendez-vous médicaux. Cœur du système de paiement en Chine, Alipay est aujourd’hui un outil indispensable pour des centaines de millions d’utilisateurs. Elle a profondément modifié les habitudes de consommation et les usages numériques dans le pays. Avec son interface unique, elle permet de centraliser la quasi-totalité des interactions économiques du quotidien, en illustrant l’excellence chinoise en matière d’intégration de services.

1.5. Paytm : la super app qui transforme le paysage numérique indien.

Lancée en tant que portefeuille électronique, Paytm est devenue l’une des super apps les plus influentes en Inde. Elle propose aujourd’hui une palette de services : commerce en ligne, réservation de billets, services bancaires, paiements ou encore placements financiers. Dans un pays où l’inclusion financière reste un enjeu majeur, notamment en zones rurales, Paytm joue un rôle structurant. Elle simplifie l’accès aux services financiers et numériques via une interface unifiée. En rendant ces services accessibles au plus grand nombre, Paytm favorise la transition vers une économie indienne plus connectée.

1.6. Zalo : la super app vietnamienne qui combine communication et services.

À l’origine application de messagerie instantanée, Zalo est aujourd’hui la super app de référence au Vietnam. Elle allie communication – avec appels, messages et vidéos – à une large gamme de services : actualités, paiements, e-commerce, etc. En s’appuyant sur une forte implantation locale, Zalo offre une expérience utilisateur personnalisée qui accompagne la digitalisation croissante de la société vietnamienne. Elle démontre comment une application de communication peut évoluer en plateforme multifonctionnelle, répondant aux divers besoins du quotidien.

2. L’émergence des super apps dans le reste du monde.

Si l’Asie a ouvert la voie, d’autres régions du monde adaptent à leur tour le concept de super app à leurs réalités locales. En Amérique latine, au Moyen-Orient, en Afrique ou même en Europe, des acteurs comme Rappi, Careem, OMNi, Max it ou Revolut s’imposent comme des hubs numériques capables de centraliser les services du quotidien. Leur montée en puissance démontre que le modèle super app peut répondre à des enjeux globaux tout en s’ancrant dans des contextes socio-économiques très différents.

2.1. Rappi : la super app qui redéfinit les services en Amérique latine.

Originaire de Colombie, Rappi s’est imposée comme l’une des super apps les plus innovantes d’Amérique latine. D’abord centrée sur la livraison de repas et de courses, elle a étendu son champ d’action aux paiements, services bancaires, et même aux assurances. Présente dans plusieurs pays de la région, Rappi se distingue par sa capacité à s’adapter aux besoins locaux tout en offrant une solution numérique complète. Elle contribue activement à la transformation des usages, en facilitant l’accès aux services pour les consommateurs comme pour les commerçants.

2.2. Careem : la super app du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord.

Fondée aux Émirats arabes unis, Careem a démarré comme service de VTC avant de devenir une super app incontournable dans la région. Elle propose désormais des services variés : transport, livraison de repas, paiements, courses, services à domicile, etc. En s’adaptant à la diversité culturelle et économique du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, Careem offre des solutions numériques qui facilitent le quotidien des utilisateurs. Rachetée par Uber, elle conserve toutefois une forte identité locale, et reste un acteur clef de l’innovation dans la région.

2.3. Revolut : vers une super app financière européenne.

Basée au Royaume-Uni, Revolut est l’une des rares applications financières européennes à tendre vers le modèle de super app. Si elle n’a pas encore atteint le niveau de diversification d’un WeChat ou d’un Alipay, Revolut propose déjà de nombreux services : comptes bancaires, paiements, investissement, assurances, change de devises, ou encore outils de gestion de budget. Avec une base d’utilisateurs en croissance constante, Revolut se positionne comme une plateforme tout-en-un de plus en plus incontournable en Europe.

2.4. OMNi : la super app innovante d’Amérique centrale.

OMNi est une super app émergente en Amérique centrale qui cherche à centraliser les services essentiels du quotidien. Elle intègre transport, livraison, paiements, et services financiers dans une interface intuitive et accessible. OMNi vise à réduire les inégalités d’accès aux services numériques dans une région encore en transition. En créant des ponts entre les zones urbaines et rurales, elle permet aux populations locales d’entrer de plain-pied dans l’économie numérique.

2.5. Max it : la super app d’Orange pour le Moyen-Orient et l’Afrique.

Développée par Orange, Max it regroupe sur une seule plateforme une série de services essentiels : divertissement, communication, commerce, services bancaires, et contenus locaux. Conçue spécifiquement pour les marchés émergents du Moyen-Orient et de l’Afrique, Max it s’adresse à une clientèle souvent peu bancarisée. Elle contribue à démocratiser l’accès aux services numériques et à renforcer le rôle des opérateurs télécoms dans la transformation numérique de ces régions.

3. Pourquoi l’Europe est-elle en retard dans la course aux super apps ?

Alors que l’Asie et d’autres régions du monde ont vu éclore des super apps puissantes, polyvalentes et largement adoptées, l’Europe reste à la traîne. Ce retard ne s’explique pas par un manque d’innovation ou de talent, mais par un ensemble de facteurs structurels, culturels, économiques et réglementaires qui freinent l’émergence d’un écosystème propice à ces plateformes tout-en-un.

3.1. Un marché profondément fragmenté.

La première barrière est la fragmentation du marché européen. L’Union européenne regroupe 27 pays avec des langues, des cultures, des habitudes de consommation et des cadres juridiques distincts. Cette diversité complique la mise en œuvre d’une stratégie unifiée et rend difficile le déploiement rapide d’une plateforme unique à l’échelle continentale. Contrairement à la Chine, l’Inde ou l’Indonésie, qui disposent chacune d’un marché domestique immense et relativement homogène, l’Europe impose aux entreprises de localiser leur offre dans chaque pays. Cela freine les effets d’échelle et les synergies indispensables à la réussite d’une super app.

3.2. Des marchés déjà matures et saturés.

L’Europe est aussi un marché technologique mature, avec des écosystèmes d’applications spécialisés bien ancrés. Les utilisateurs européens sont habitués à utiliser plusieurs applications verticales très performantes pour chaque besoin spécifique : Uber ou Bolt pour le transport, Deliveroo ou Just Eat pour la livraison de repas, Lydia ou Revolut pour les paiements, Doctolib pour la santé, etc. Cette spécialisation sectorielle limite l’espace pour un acteur qui voudrait agréger plusieurs services en une seule interface. De plus, la fidélité des consommateurs à ces apps verticales, leur ergonomie optimisée et leur solidité technique rendent difficile leur remplacement.

3.3. Une culture d’entreprise orientée vers la compétition, pas la convergence.

Le modèle des super apps repose sur une logique d’intégration et de collaboration entre plusieurs services ou partenaires, parfois concurrents. Or, en Europe, les entreprises technologiques ont davantage évolué dans une culture de compétition que de coopération. Il est rare de voir des partenariats profonds entre acteurs de secteurs différents (banques, transports, e-commerce, santé...) pour développer une plateforme commune. Là où les super apps asiatiques sont souvent nées d’une volonté d’intégrer verticalement des services ou de créer des synergies fortes entre partenaires, les initiatives européennes sont plus fragmentées, parfois cloisonnées, et manquent de porteurs industriels ou financiers capables d’impulser une vision large.

3.4. Un environnement réglementaire rigoureux et protecteur.

La réglementation constitue un autre obstacle majeur. L’Union européenne est pionnière en matière de protection de la vie privée et des données personnelles, avec des normes strictes comme le RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données). Si ces règles sont essentielles pour protéger les citoyens, elles compliquent la collecte, le partage et la centralisation des données entre services, qui sont pourtant la clef de voûte du modèle des super apps. En Asie, l’accès à des volumes massifs de données utilisateurs a permis aux super apps d’optimiser leurs algorithmes, de personnaliser leurs services et de proposer des parcours utilisateur fluides. En Europe, ces ambitions se heurtent à des contraintes juridiques fortes, qui limitent la capacité à agréger les données de différentes sources et à les monétiser de manière efficace.

3.5. Une dynamique de niche plutôt qu’un modèle global.

Malgré ces freins, l’idée de super app n’est pas totalement absente en Europe. Certaines entreprises tentent de s’en approcher, mais avec une approche sectorielle plutôt que transversale. C’est le cas de Revolut ou Klarna dans la finance, de Yego dans la mobilité urbaine, ou encore de certaines initiatives portées par des opérateurs télécoms comme Orange ou Vodafone. Ces acteurs s’inspirent du modèle asiatique en enrichissant progressivement leur offre de services au sein d’une même interface, mais ils restent encore loin d’atteindre le niveau d’intégration des super apps comme Grab ou Gojek. L’approche européenne semble favoriser l’expérimentation dans des verticales bien définies, avec l’idée d’élargir ensuite si le marché répond positivement.

3.6. Est-ce que l’émergence d’un modèle européen de super app reste encore possible ?

Si l’Europe ne dispose pas encore d’une super app continentale à grande échelle, elle pourrait bien en inventer une version adaptée à son propre contexte. Cela supposerait une collaboration renforcée entre entreprises, une adaptation fine aux contraintes réglementaires, une expérience utilisateur irréprochable et une proposition de valeur suffisamment forte pour inciter les utilisateurs à délaisser leurs apps spécialisées. Avec l’évolution rapide des usages, la pression concurrentielle des géants asiatiques et américains, et le développement des technologies comme l’IA générative ou les wallets numériques, l’espace est encore ouvert. Mais il faudra une vision stratégique ambitieuse et des alliances solides pour qu’un tel modèle émerge véritablement en Europe.

3.7. Une opportunité encore à saisir.

Le retard européen face aux super apps n’est pas une fatalité. Bien au contraire, il révèle l’existence d’une opportunité stratégique encore largement inexploitée. Dans un contexte de réindustrialisation numérique, de transition écologique et d’évolution rapide des usages mobiles, les super apps représentent une réponse potentielle à la fois technologique, économique et sociétale. En agrégeant services, données et interactions au sein d’une interface cohérente, elles peuvent devenir des catalyseurs de simplicité, de confiance et de valeur pour les utilisateurs comme pour les entreprises.

Mais pour y parvenir, l’Europe devra faire émerger un modèle qui lui est propre — respectueux de ses principes, adapté à ses contraintes, et aligné avec les attentes de ses citoyens. Plus qu’une simple imitation des approches asiatiques ou américaines, il s’agira d’inventer une vision européenne des super apps, à la croisée de l’innovation technologique, de l’excellence UX, de l’éthique numérique et de la souveraineté des données. Une vision qui pourrait bien, à terme, devenir une référence mondiale.

 

Conclusion : vers une nouvelle génération de services mobiles ?

Alors que les super apps façonnent déjà le quotidien de centaines de millions d’utilisateurs en Asie, en Amérique latine ou au Moyen-Orient, leur essor interroge directement les modèles numériques en vigueur en Europe. À mi-chemin entre concentration des usages et décentralisation des services, elles proposent une expérience fluide, intégrée et personnalisée qui répond aux attentes croissantes des utilisateurs en matière de simplicité, d’accessibilité et d’efficacité. Cette transformation n’est pas sans conséquences : elle redéfinit les relations entre marques et consommateurs, accélère la transition numérique des services publics comme privés, et remet en question l’organisation classique des marchés applicatifs. En Europe, le retard actuel ne doit pas être perçu comme un désavantage définitif, mais comme un moment charnière. C’est l’occasion de réfléchir à un modèle alternatif, où l’agrégation de services s’effectue dans le respect des cadres réglementaires, des valeurs de transparence et de l’éthique du design. Une approche modulaire, interopérable, souveraine et centrée sur l’utilisateur peut émerger, notamment dans des secteurs comme la banque, la santé, la mobilité ou l’énergie. Pour les entreprises, les opportunités sont nombreuses : fidélisation renforcée, meilleure connaissance client, élargissement de l’écosystème de services, différenciation stratégique… Mais le défi est de taille : il faudra investir dans l’UX, dans la sécurité, dans les API, et surtout dans la co-construction de ces nouveaux services avec les utilisateurs eux-mêmes. Les géants européens du numérique, les opérateurs télécoms, les banques, les retailers ou les services publics ont chacun un rôle à jouer. À l’heure où le smartphone reste l’interface principale entre citoyens et services, il devient essentiel de penser l’application non plus comme un silo, mais comme une porte d’entrée vers un écosystème. Les super apps ne sont pas un simple phénomène de mode ou une copie du modèle WeChat : elles sont le reflet d’une nouvelle vision du numérique, centrée sur l’usage, l’instantanéité et l’intégration. Il ne tient qu’aux acteurs européens d’en faire un levier d’innovation, de souveraineté et de compétitivité.